Erik humait l'air environnant en scrutant le ciel. Comme jadis, de son oeil et de son instinct avisés, il sentait la neige poindre d'ici peu...
Il s'allongea , seul sur la plage, et déboucha un flacon d'hydromel.
"A la tienne, l'anonyme! Pauvre imbécile, tu ne sais pas ce que tu perds à déguster ce nectar."
Le viking s'enfila une bonne rasade de son breuvage préféré et contempla le ciel gris. Pas une étoile ne brillait. Normal, songea-t-il, les premiers flocons ne vont pas tarder à tomber. il se cala confortablement le long d'une longue roche qui affleurait le sol sablonneux.
Hop, une seconde lampée d'alcool. Le breuvage divin lui
réchauffa le corps."Santé l'ano"!
Des vaguelettes venaient mourir à quelques pas de lui; une odeur de vase et de goémon parfumait le lieu. Ces senteurs étaient divines. l'homme du Nord gonfla ses poumons et en expira lentement l'air emmagasiné.
Par Thor, quelle délicieuse sensation. Il recommença plusieurs fois comme pour s'imprégner tout entièrement de ces parfums marins.
Une autre rasade d'hydromel se déversa dans son gosier. Plus chaude, plus forte.
"Alors mon vieux Gouroux, tu rates quelque chose de géant.."
Il eut un hoquet nerveux. En fait, à chaque approche de l'hiver, c'était le meme symptome. Il repensait très fort à sa terre natale, à SON monde disparu par un mystérieux coup du sort (ou à une colère divine?). Et il se noyait. Il perdait pied; plus aucun repère, plus une ame, plus un phare pour le guider. Une autre gorgée d'hydromel devrait chasser ses démons; il vida le restant du flacon d'un seul trait, ferma les yeux et soupira.
Le Tumulte murmurait presque à ses pieds. Ce doux ronronnement aurait du le rassurer. Non. Il ouvrit un second flacon et l'avala entièrement, cette fois. Il était en proie au doute; et savoir qu'il lui faudrait attendre au moins 8 lunes avant de pouvoir (espérer?) reprendre la mer accentuait son malaise, son mal etre.
Et puis il y avait tout le reste, et ce "tout" n'était pas mince, finalement. Ce tout était vraiment un tout, au début envoutant, puis pesant à présent.
Ne pas savoir, demeurer dans l'incertitude. Quel destin cruel que semblait prendre son cheminement en ce monde. Il croyait tout connaitre de cette contrée; il n'en était rien. Il était toujours perdu et seul.
Le viking dégaina son sabre, se releva et mima quelques escarmouches et parades. Un crabe prit le risque de passer entre ses jambes; en moins d'une seconde le crustacé acheva sa vie, transpercé.
"pauvre petit animal, fit Erik presque désolé. En fait, tu es comme nous autres, hommes de ce désert. Ta vie ne tient qu'à un fil. Un infime petit fil."
Il déboucha un autre flacon d'hydromel. celui ci était bien plus corsé. Il l'avait distillé bien avant son voyage à Rome. Il le vida d'un trait et aperçut un modeste rayon de lune transpercer la couche nuageuse. Il leva son sabre vers le ciel et s'en servit comme miroir.
"Miroir, o mon beau miroir...." L'image qui se reflétait au travers de la lame d'acier lui fit peur: il vit un visage bouleversé, ridé, aux traits burinés mais affligeamment tristes et dénués de vie.
Il éclata de rire. "Comment peut on s'amouracher de pareille créature" hurla-t-il en brandissant son sabre vers les cieux. "Odin, que ne m'as tu abandonné ...
Puis il tomba à genoux, écrasant un autre crabe, planta son arme dans le sable humide et s'appuya sur son pommeau pour sangloter.
"Je ne suis pas confiant en l'avenir, Père des Dieux et Maitre du Valhalla. il faut que tu m'aides, comme jadis!
Envoie moi un signe fort, afin que je sois certain de mon devenir. Sinon, jamais je ne pourrais T'honorer, là-bas ni nul part."
il se redressa et découvrit le cadavre du crabe en miettes. Par Thor, pourquoi il est venu se nicher là, celui-là.
Il déboucha un autre flacon d'alcool; la neige arrivait, il en était certain.
quelques jours, pas plus. il ota ses bottes et son carcan en cuir puis s'avança vers le bord du Tumulte.
L'eau était fraiche, très fraiche. Tant pis, c'était une envie folle mais il voulait aller nager, quelques brasses seulement, histoire de se purifier. Ce corps vieillissant, cette ame meurtrie, ces muscles avachis méritaient une cure de jouvence. Une eau glacée était le meilleur remède...
Il sentit le contact glacial contre son corps et cela ne le fit meme pas frissonner; il nagea lentement, sans aucun bruit.