MAUVAIS SONGE

Alors que la nuit était déjà bien entamée, le viking déambulait seul sur le pont du drakkar. C'est comme s'il faisait un mauvais songe, tout éveillé.
Une sorte de mauvais présage? Il tenta de balayer ces idées noires, mais rien n'y faisait: c'était quelque chose de flou et d'imprécis qui taraudait son esprit toujours plus ou moins en alerte.
Il vérifia que Syl et Yunfa dormaient pour aller déboucher un tonneau entier d'hydromel...
En fait il en vida exactement 4, ce qui faisait une sacré quantité.

L'odeur de miel fermenté monta aux narines de Sylvanus.
Le jeune homme entrouvrit les yeux et ne put qu'esquisser un sourire goguenard en voyant le vieux viking effondré au milieu de ses cadavres de bouteille.

Il se tourna de l'autre côté, referma les yeux en se disant: "Il va encore être frais pour nous faire briquer le pont demain, mon ami viking... Déjà ça a été laborieux pour les cours de self defense... Je l'imagine bien roupiller sur la barre pendant qu'on astiquera le drakkar..."

Et Sylvanus retourna au pays des songes.

Cette nuit là, il rêva d'un oiseau de métal qui descendait vers la mer pour venir cracher sa mort métallique sur un quatamaran.

Dans son sommeil, il frissonna. Et si, malgré toutes les plus belles résolutions du monde, le cours de sa vie l'amenait un jour à devoir agir comme le pilote de cet oiseau de métal?

Le mauvais songe perdurait. Par Odin, que n'avait-il pensé à emmener ses fameuses runes... Depuis bien longtemps, trop longtemps d'ailleurs, il ne s'était adonné à cette pratique magique et ancestrale: lancer les runes et lire l'avenir
Ces pierres fantastiques se trompaient rarement (encore fallait-il etre en forme pour interpréter les figures apparaissant de face).
Décidemment, c'était comme si une sorte de malédiction (encore une?) commençait à le pourchasser, à coller son ombre sans jamais voiloir l'abandonner, comme une seconde peau, nauséabonde, triste, glauque, perfide, désastreuse et démoniaque.
Le pont du drakkar brillait comme un sou neuf. Syl et Yunfa lui avaient obéis (pour un coup!). Et encore une fois, il se retrouvait seul à la barre. La voilure réduite, le bateau oscillait légèrement de gauche à droite puis de l'avant à l'arrière, mouvement subtil et régulier comme celui d'une horloge (suisse ) . Le viking contempla le ciel, regarda la course des étoiles, huma l'air environnant et se sentit rassuré. La glace n'était pas encore au programme du jour à venir.
Il tendit le bras et attrapa sa chope d'hydromel.
La nuit était calme et claire; un morceau de lune brillait dans le ciel.

Encore une autre chope d'hydromel, la nuit cette fois était noire et sombre. Il était très tard. Le viking gloussait et se retenait pour ne pas faire trop de bruit de peur de réveiller ses compagnons d'équipage.
Par Thor, grommela-t-il, QUI me connait réellement en ce bas monde sec et moche, plein de sable et de pillards?
Ceux là sont rares ou morts, désormais.
Il ricana un peu plus fort." Personne ne me connait de l'intérieur, personne . Certains le pensent, l'imaginent, le croient, mais ils se trompent ils subodorent, espèrent, inventent, que sais-je?
Non, ils ne savent pas et ne sauront jamais tous les maux qui me déchirent de l'intérieur. Des centaines de litres d'alcool ne calment ni n'abrègent ces maux. C'est terrible. Pourquoi les Dieux m'imposent-ils pareille épreuve? N'ai-je donc pas assez payé, jadis, dans mon monde et mes terres nordiques, le prix?"
Il songea un instant à cet homme qui se faisait appelé "christ" et qui était mort pour sauver ses semblables
Son fils? dirigeait une cité dans ce monde...
Il avait déjà songé à mettre fin à ses jours. Car ce monde n'était pas le sien. Mais une telle fin n'était pas digne d'un guerrier de sa trempe; et aussi, jamais il n'aurait le droit d'entrer au Valhalla, le Paradis des hommes du Nord, morts au combat.
Erik s'enfila une autre rasade d'hydromel."Corne de bouc, il est temps de rentrer. les réserves baissent, et mon breuvage supporte mal le voyage "
Il est temps d'aller rejoindre mon ange, ma bien-aimée.
Il soupira et sentit une larme perler sur sa joue.

Elle dormait mal ces derniers temps, tant de choses l'accablaient, elle ne trouvait le repos que lorsqu'elle pouvait sentir son Viking veiller sur elle.
Son absence rendit naturellement son sommeil chaotique, houleux. Elle se réveilla en sursaut, des sueurs froides jusqu'en bas du dos. Elle s'était retenu de pousser un cri, ses cauchemars empiraient ces jours ci ... trouverait-elle un jour la paix ?

" ... (huf huf) ... Erik ? ... Où es-tu ?"

Elle tatait sa couche d'une main maladroite, mais elle était froide et vide.

"Dehors .."

Elle prit quelques instants pour s'habiller (il fait tout de même frisquet ces temps ci) et sortit doucement, le plus discrètement possible.
Elle distingua Erik, à la barre comme à son habitude, bien que le navire mouillait au large de l'île de Rome. Elle se tut et tendit l'oreille, elle fut secouée par l'étrange monlogue de son Viking ... sa plainte résonnait comme un appel à l'aide, quelquechose le tourmentait terriblement ... Mais elle seule savait de quoi il retournait, elle seule connaissait les raisons de ce profond malaise.
S'armant de tout son courage, elle sortit de l'ombre en l'appellant:


"Erik ... je ... je suis désolée ... si cela doit autant te faire souffrir ... je ne peux pas me le pardonner ... c'est si important pour moi, mais rien ne doit passer avant toi !
Je ne sais plus où j'en suis moi même, plus une nuit sans cet horrible cauchemar où je te vois mourir aux pieds d'une cité, et je t'accompagne dans la mort en me jetant du haut des murailles qui l'entourent ..."

Elle tomba à genoux, elle sanglotait mais résistait de toutes ses forces, elle ne voulait pas se montrer si faible face à celui qu'elle aime ... elle était à bout ...

Erik, les yeux humides mais le regard clair s'agenouilla près de sa bien-aimée. (Par odin, qu'est-ce qu'il l'aimait ).
Il caressa d'abord doucement sa longue chevelure brune qui sentait bon l'air du large puis sa main descendit le long de son cou. La jeune femme se cabra légèrement et soupira.
"humm, Erik, mon amour (?)"
Presque tremblante, sa main s'aventura un peu plus bas, effleurant le galbe d'un sein ferme et fier
Yunfa soupira de plus belle, semblant s'abandonner sous les caresse saudacieuese et délicieuses du Nordique.
"Je t'aime plus que tout au monde, mon ange, sache le une bonne fois pour toute. Je n'aime que rarement me répéter pour ce genre de sujet"
A son tour, il soupira bruyament pour masquer un sanglot qu'il ne pouvait retenir.
"Tu connais mes sentiments à ton égard, je n'ai jamais triché avec celà.
Je te laisse seule face à ta conscience et à ton destin, mon amour."
"Tu as toutes les runes en main, si j'ose dire"
Une nouvelle fois, leurs deux corps ne firent plus qu'un, s'unissant vers de subtils paradis d'ivresse amoureuse et d'abandon de soi. Durant tout ce fantastique voyage au nirvana de la tendresse et de la volupté, aucun des deux amants ne prononça plus 1 seul mot.